Mars 2022: Une vocation à la vie de religieuse avortée ?
Histoire de vie de Francine Koffi.
Personne n’est à l’abri des prédateurs sexuels, ils sont partout, et peuvent être soient les membres de nos familles ou nos proches à qui nous avons entièrement confiance. La petite Francine l’a appris à ses dépens. Droguée puis violée par son beau-frère, l’adolescente de 14 ans est tombée enceinte, aujourd’hui elle est jeune fille mère et doit se battre pour se reconstruire. Son rêve de venir sœur religieuse catholique a pris un coup mais elle garde espoir d’un lendemain meilleur.
Une vocation à la vie de religieuse avortée ?
Nous avons à peine terminé le Certificat d’Etude du 1er Degré (CEPD), lorsque ma grand-mère recevait un appel de ma grande sœur, lui demandant que je vienne passer les vacances scolaires chez elle à Lomé. Une surprise accueillie à cœur joie, car venir passer les vacances à Lomé la capitale du Togo, avait toujours été pour moi un moment rêvé.
En route pour Lomé
Le lendemain matin, valise faite, me voici en route, direction Lomé, pour profiter du bon vent citadin. Quelques heures de route seulement et me voici donc arrivé à Lomé, au quartier populaire de Bé-Kpota. A ma descente du taxi, l’accueil était chaleureux, je me suis senti aux anges car ma joie de découvrir Lomé est enfin devenue une réalité. Me voici à présent chez ma grande sœur, et il ne m’a fallu que quelques jours pour m’intégrer à la maisonnée.
Mes journées tranquilles.
Ma grande sœur enceinte, vivait avec son mari et attentait son premier bébé. Je participais aux activités domestiques et accompagnais ma grande sœur au marché. Elle vendait les vêtements dits de « stocks ». Une activité que je découvre tout en l’exerçant à ses côtés avec passion. Nous vivions tous en harmonie à la maison jusqu’à ce qu’un jour les choses ont pris une autre allure.
Je n’ai pas senti venir le danger
Une journée comme les autres où nous devrions nous rendre au marché, je ne me sentais pas du tout bien. J’avais la migraine et je l’ai fait savoir à ma sœur qui n’a rien dit. Ce jour-là, elle devrait partir seule au marché pour servir certains clients qui l’avaient d’ores et déjà contacté pour achat. En partant de la maison, elle s’est fait accompagner de son époux. Quelques minutes plus tard, le Monsieur revient seul avec un médicament et une bouteille de vin en main me disant que c’est de la part de ma sœur pour soigner ma migraine. A sa demande, sans aucun doute, j’ai avalé ce produit qui avait la ressemblance du paracétamol avec un verre de vin. Du coup la fatigue a gagné mon corps puis je m’étais profondément endormi. À mon réveil, je retrouve mon beau-frère, allongé et mal revêtu à côté de moi. Je lui demandai ce qu’il m’avait fait .Et sa réponse était sèche : « Fiche-moi la paix ». Je me suis en même temps rendu compte qu’il venait d’abuser de moi dans mon état d’inconscience. J’ai fondu en larme, car je venais de passer la plus dégoûtante journée de mon existence. Le soir, dès le retour de ma sœur j’ai tenté de lui relater les faits, à ma grande surprise, elle ne voulait pas me prêter une oreille attentive. Meurtrie dans l’âme, je n’avais plus aucune envie de rester dans cette « maudite » famille.
Le retour après l’abus sexuel
J’ai supplié ma grande sœur de me retourner au village avec comme prétexte l’état de santé de notre mère, ce qu’elle a accepté sans mot dire. Du retour au bercail, de peur de choquer ma mère de l’agression subie je vais voir le curé de notre paroisse qui convoqua ma famille pour lui faire part de la situation. Abordé, mon beau-frère a catégoriquement nié les faits. Une fois la convocation tendue, il avait disparu. Dans cette situation ma grande sœur me désavoua complètement face à son mari qui m’a volé m’a virginité. Je n’ai que 14 ans je ne pratiquais pas de la sexualité, car je voulais bien devenir une sœur religieuse.
Les débuts de ma grossesse.
J’ai commencé par ressentir des malaises au ventre et au bas ventre, après des analyses, on a su que j’étais enceinte ; c’était le comble. Le curé à la recherche d’une institution de protection des enfants, a finalement contacté la ligne verte le 1011. Lorsqu’on m’a emmené après écoute, les agents de la ligne verte m’ont confié au centre KEKELI pour ma prise en charge.
Mon séjour au Centre KEKELI
Les premiers Jours, j’étais envahie par un sentiment de honte et de culpabilité. Il a fallu l’intervention du psychologue du centre pour me redonner le goût de vivre. Ici on s’est occupé de ma grossesse et moi. La prise en charge était totale, car elle était sanitaire, psychologique, vestimentaire, alimentaire, spirituelle, etc. Au bout de sept mois de grossesse j’ai finalement accouché d’une fille prématurée, contre toute attente tout s’est bien déroulé par la grâce de Dieu. Mon bébé est en pleine forme même si c’est une enfant issue du viol, je lui donne mon amour et je prends soin de lui.
Un rêve en parti brisé ?
Mon rêve, c’est de devenir une religieuse infirmière, mais ma seule inquiétude est de savoir si je pourrais-être acceptée plus tard comme religieuse au sein d’un couvent ? Je sens une partie de mon rêve brisé. De toute façon, je compte reprendre les cours pour finir à la limite infirmière. Je vais commencer la classe de 6ème l’année prochaine si tout va bien. J’ai déjà perdu une année de ma vie, mais ce n’est pas grave. Je sais que je devrais travailler doublement pour relever ce défi, mais rien n’est impossible tant que la vie se prolonge. Je compte également sur le soutien de mes proches, surtout ma mère, le curé et le Centre KEKELI pour réaliser mon projet de vie.
Aujourd’hui je tente de ranger d’un coté de ma tête cette histoire qui me colle à la peau, car j’ai envie d’avancer. J’avoue qu’il y’a des jours difficiles pour moi mais pour me vider l’esprit, je pleure abondamment, une stratégie qui me soulage.
Le pardon
Je remets mon sort à Dieu qui est le seul rémunérateur aux humains selon leurs actes. Je ne compte plus poursuivre personne pour quoique ce soit. Pour moi la justice divine existe même si elle est lente. Mon enfant a trois mois et je veux la voir grandir comme les autres enfants même s’ils n’ont pas les mêmes histoires, je pense lui donner les mêmes chances que les autres en lui inculquant les valeurs de notre société. Comment lui dire après qu’elle a été le fruit d’un acte d’abus sexuel ? Lorsqu’elle réclamera plus tard son père, quoi lui répondre ? Autant de questions que je me pose. Pour le moment je vis en espérant le meilleur pour mon enfant et pour moi.
Propos recueillis par : Déladem DJIKANU